Figure 1. De gauche à droite apparaissent : l’hôtel Métais sur la place principale du village, la maison du tuilier, construction des années 1850. Accolée à la maison, la halle de séchage est couverte de tuiles et devant elle, le four est renforcé par deux armatures métalliques pour empêcher l’écartement des murs. Le tombereau, indispensable pour les livraisons, est visible également dans la cour (collection mairie de Préaux).
L’enquête sur les tuileries se poursuit avec l’étude de celle de Préaux, l’une des plus anciennes du canton d’Ecueillé
Emplacement et caractéristiques techniques.
La tuilerie de Préaux est située dans le bourg au numéro 1 de la route de Villegouin. L’emplacement offre une grande facilité pour l’accès et pour le transport des matériaux qui y sont produits quelle que soit l’époque de l’année, contrairement à une tuilerie située dans un hameau isolé. Sur le cadastre napoléonien daté de 1835, la halle de séchage est un bâtiment aux dimensions impressionnantes (trente mètres de long et dix mètres de large), complétée par un petit appentis accolé au sud d’environ 16 m².
Le four est indiqué à moins de deux mètres au sud de la halle, formant un carré d’environ 5.5 mètres de côté. Ce dernier se présente comme un cube qui rétrécit vers le sommet. Malheureusement, son volume utile de cuisson est inconnu (voir la figure 1).
L’emprise totale est de 340 m² et le revenu imposable de la tuilerie est de quatre vingts francs en 1835 (le revenu imposable d’un des moulins de la commune est moitié moindre au même moment). Accolée à la halle, l’habitation du propriétaire et/ou du tuilier est démolie et reconstruite en 1855. Le démontage d’une grande partie de la halle intervient vers les années 1960. Actuellement, l’emplacement du four est encore visible dans le parc ainsi qu’une travée de la halle qui est accolée à l’habitation. De plus, vers l’Indrois et parallèle au ruisseau, un bâtiment construit après 1835 est probablement un ancien logement autrefois réservé aux ouvriers tuiliers.
– De la création à la fermeture :
Comme il est difficile de s’approvisionner avant la Révolution dans le secteur de Préaux, il est probable que les commandes se font surtout du côté du canton de Montrésor où l’offre est plus abondante (sept ou huit tuileries fonctionnent dans un rayon de dix à vingt kilomètres).
La tuilerie et un four à chaux sont construits avant 1801 sous l’impulsion d’un marchand nommé Joseph Billieux. Il est l’un des hommes influents du village et il devient même agent municipal (équivalent de maire) en 1796. Sa richesse relative excite d’ailleurs les jalousies si bien qu’en mars 1796, lors de « la Vendée de Palluau », sa maison est pillée par les révoltés [2]. Sa tuilerie n’est pas la plus ancienne du secteur. En revanche, elle semble la seule de l’actuel canton d’Ecueillé en activité sous le Consulat et il faut attendre 1810 pour rencontrer un nouvel établissement du même type à Pellevoisin. Puis, vers les années 1850, deux nouvelles tuileries sont créées au cheflieu de canton.
La tuilerie passe à la famille Loiseau avant 1835. Louis est propriétaire d’une entreprise qui semble florissante et en 1835, il est le troisième plus gros propriétaire de la commune avec une centaine d’hectares. Son fils Louis poursuit l’exploitation de 1846 à 1884. En 1847, il devient maire pour quelques années et en 1851, il est le troisième plus imposé de la commune. Pourtant, il paie presque six fois moins d’impôts que le comte de Preaux, premier imposé de la commune. Le successeur est Jean Loiseau, dit Jacques, domicilié pendant quelque temps à la Besnardière.
Figure 2. Brique fabriquée du temps des Loiseau (avant 1835 1889). Remarquez l’erreur commise dans l’orthographe du nom du village. Dimensions : 22.3 x 11.4 x 5.2 cm. La marque du tuilier est incluse dans un rectangle de 11.6 x 9.1 cm (collection de l’auteur).
En 1889, Antoine Lanchais devient propriétaire et il reste en activité au moins jusqu’en 1919. L’exploitation de la tuilerie est abandonnée avant les années 1940. Comme bon nombre de petites tuileries du même type, les raisons de l’abandon sont simples : une concurrence très forte des gros établissements comme ceux de Vierzon et une raréfaction des débouchés proches.
Figure 3. Brique fabriquée du temps d’Antoine Lanchais (1889 après 1919). Sur cette marque, le tuilier a ajouté la lettre E à son patronyme. Dimensions : 22.2 x 10.7 x 5.8 cm. La marque du tuilier est incluse dans un rectangle de 15 x 6.7 cm (collection de l’auteur).
– Le travail du tuilier :
Les ouvriers résident le plus souvent sur place et leur nombre est variable. Il est de quatre en 1813. En 1836, le foyer Loiseau se compose de la veuve, de ses quatre fils et de trois domestiques, deux garçons et une fille. En 1848, quatre hommes, deux femmes et un enfant de moins de seize ans se partagent le travail. En 1858, la tuilerie emploie entre six ouvriers en hiver et sept en automne. Le salaire est généralement journalier et ne varie pas dans la première moitié du XIXe siècle. Il est de un franc cinquante pour un homme en 1813 et en 1848. Les deux femmes qui participent au travail en 1847 sont payées un tiers de moins (un franc). Quant à l’enfant qui a moins de seize ans, il touche à cette même date soixante quinze centimes par jour. Le salaire journalier augmente régulièrement par la suite. En 1886, il est de quatre à cinq francs pour les deux ouvriers qui travaillent une douzaine d’heures par jour.
La fabrication s’étale pendant la bonne saison, entre le printemps et l’automne et généralement sur une durée de sept à huit mois. Le rythme des livraisons est le même car il s’étale de mai-juin à novembre (voir l’annexe 1). Pendant l’intervalle, le nombre de fournées est de six (chiffre de 1813). En fonction du nombre de pièces produites annuellement, la capacité de stockage du four est de 16000 à 25000 tuiles à chaque cuisson. Autant dire que le savoir faire de l’artisan joue pour beaucoup, qu’il s’agisse de l’enfournement des pièces ou de la bonne qualité de la cuisson qui permet de limiter le nombre de pièces défectueuses. Quant aux charrois des matières premières, Louis Loiseau utilise en 1848 deux paires de boeufs et un équidé.
Les enquêteurs utilisent indistinctement le terme de pièce pour parler des tuiles, briques et carreaux et le relevé de quelques chiffres montre que la production annuelle augmente progressivement dans la première moitié du siècle. Elle est d’environ 100000 pièces en 1801, 120000 en 1813 et 150000 en 1848, qui se vendent généralement au cent ou au millier.
Le prix des produits augmente régulièrement sous le Premier Empire et il diminue au milieu du siècle, peut-être en raison d’une concurrence plus forte (douze à treize francs en 1801, vingt cinq francs en 1813 et seize francs en 1848). Vers 1801, les ventes se font essentiellement vers le bourg voisin d’Ecueillé. En 1858, la fabrication est jugée très bonne tandis que la production augmente. Il s’agit surtout à ce moment là de répondre à des besoins pressants pour les constructions.
La fabrication accomplie, le tuilier peut, dans certaines circonstances, effectuer le transport (voir l’annexe 1). Vers 1810, Joseph Billieux effectue de nombreux allers et retours au château, chez celui qui est sans aucun doute son meilleur client. D’ailleurs, pendant cette période, les travaux sont très importants dans la demeure du comte de Préaux, aussi bien sur l’habitation principale (voir la figure 4) que sur certaines dépendances comme la bergerie ou le toit à boeufs. Il livre aussi dans les métairies de la Pinaudière, de la Pierre…, à la locature de Grattegéline, au moulin de Potron, toutes ces exploitations qui ont comme point commun d’être partie intégrante du domaine du comte.
Figure 4 : le château de Préaux subit d’importantes transformations vers 1809 et 1810. Cette dernière date est gravée sur le linteau de la principale porte d’entrée.
Joseph Billieux est également un marchand de quartiers, c’estàdire de parpaings de tuffeau et de sable qu’il fait charroyer au château. Il y fait acheminer aussi des produits dérivés du bois comme du plancher, de la chanlatte (planche servant à retenir les premiers rangs de tuiles sur une toiture), du chevron ou du gros bois. Ce tuilier peut donc se transformer occasionnellement en marchand de matériaux. Malheureusement, il n’est pas possible de déterminer son statut précis. En effet, estil un intermédiaire entre un producteur (carrier, tireur de sable, scieur de long ou fendeur) et un client ou estil plutôt un entrepreneur qui emploie ces ouvriers de la pierre ou du bois ?
– Des productions diversifiées :
Comme dans la plupart de ces établissements, la production est variée. Elle est de quatre types principaux : tuiles, briques, carreaux et chaux.
Les tuiles et les tuiles faîtières (appelées aussi festeaux ou festaux) sont attestées sur de nombreuses habitations à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Cependant, comme celles-ci sont plus lourdes que les bardeaux (planche de chêne ou de châtaigner d’une taille qui avoisine un pied de longueur et un demi pied de largeur), il est courant d’avoir des couvertures mixtes car le poids plus lourd des tuiles oblige les paysans à renforcer ou à reprendre totalement les charpentes (voir annexe 2). Après les années 1810, les demeures à tuile et bardeau disparaissent progressivement au profit de la tuile seule. Le mouvement s’accélère après les années 1830 lorsque les premières agences d’assurances incitent leurs assurés à protéger les maisons des incendies.
Les briques, utilisées essentiellement pour les voûtes des fours à pain, se développent sur les habitations et sur les souches de cheminées après les années 1850. Elles se rencontrent dans le bourg de Préaux, par exemple sur la maison derrière l’ancien hôtel Métais ou sur les dépendances du château. Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, les tuiliers prennent l’habitude d’identifier les briques qu’ils fabriquent par l’apposition d’une marque distinctive sur l’une des faces (voir les figures 2, 3 et 5).
Figure 5.
Brique fabriquée du temps d’Antoine Lanchais (1889 après 1919). Presque deux fois moins épaisse que l’autre brique fabriquée par ce tuilier, elle était plutôt utilisée pour la fabrication des parties hautes des voûtes des fours à pain. Dimensions : 22.7 x 11.4 x 3.4 cm. La marque du tuilier est incluse dans un rectangle de 11.7 x 5.9 cm (collection de l’auteur).
Les carreaux de terre cuite, à ne pas confondre avec la tomette typiquement provençale, sont couramment de deux formats principaux à la fin du XVIIIe siècle : six pouces (16,2 cm de côté) ou huit pouces (21,6 cm). Ils remplacent progressivement les intérieurs pavés ou de terre battue des maisons. Ces deux formats restent encore en vigueur au siècle suivant. Aucun carreau d’un tuilier de Préaux n’a été retrouvé. Cependant, des passages de l’annexe 1 prouvent que Billieux a fabriqué au début du XIXe siècle des carreaux des deux formats.
– Une activité annexe : la chaufournerie :
La préparation de la chaux s’effectue dans le même four qui sert à cuire les tuiles. Les enquêtes de l’administration préfectorale de 1813 et de 1848 permettent d’apporter quelques détails sur cette activité. La quantité annuelle de pierre calcaire nécessaire pour la calcination est de 48 m3 en 1813 et de 50 m3 en 1848. Quant au prix, il diminue régulièrement : 5.5 francs vers 1810, 5 francs en 1813 et 3 francs en 1848. La chaux grasse vaut 100 francs le m3 en 1919. Son extraction se pratique dans une carrière indéterminée située sur la commune. En 1886, deux carrières de pierre sont disponibles et en activité pour les besoins du pays.
La calcination du calcaire s’effectue vers 900 à 1000 degrés. La production avoisine 360 hectolitres en 1813 et 40 m3 en 1848. Ce produit se vend au poinçon vers 1810 (environ 2.5 hectolitres), au mètre cube vers les années 1840, ce qui dénote une adaptation lente au système métrique. La comparaison des bénéfices réalisés montre que pour une production presque identique, ils ont diminué de moitié entre 1813 et 1847, de 720 francs à 360 francs. La multiplication des chaufourneries et la concurrence qui en découle oblige probablement Loiseau à tirer les prix de vente vers le bas. Que ce soit sous le Premier Empire ou au milieu du XIXe siècle, cette activité reste marginale. La fabrication de chaux pour l’amendement des sols et plus vraisemblablement pour la préparation des mortiers dans les constructions représente un peu moins de 20 % du chiffre d’affaires à la fin du Premier Empire et environ 13 % au milieu du XIXe siècle. A Préaux, la chaufournerie pratiquée par Billieux et Loiseau reste donc une activité marginale, avec une tendance à l’effritement au cours du temps.
Au contraire, une statistique de 1886 mentionne que la chaux fabriquée à Préaux est jugée de bonne qualité et que cette activité est dynamique. Comme l’amendement des sols connaît un intérêt croissant, vers 1893, un propriétaire habitant aux Bourdins fait installer une carrière et un nouveau four à chaux à proximité du même lieu.
Enfin, pour que l’enquête soit complète, une parcelle nommée four à chaux est située à proximité d’Augnais sur le cadastre napoléonien. Est-ce qu’elle coïncide avec le souvenir d’un établissement antérieur à la Révolution ou à un établissement de courte durée construit par Joseph Billieux ou par Louis Loiseau avant 1835 ?
– Des maigres profits :
Contrairement à l’enquête de 1848, celle de 1813 permet de saisir, pour une fournée, le rapport entre le prix de revient et le prix de vente des objets finis. Le tuilier doit prévoir une trentaine de stères de bois pour la cuisson (180 francs), environ 8 mètres3 de terre (40 francs), une voiture de sable (7 francs) et 2 toises de pierres ou environ 4 m3 (22 francs), provenant de lieux indéterminés de la commune.
L’investissement revient donc à 249 francs, à quoi il faut ajouter le salaire des quatre ouvriers pendant une vingtaine de journées (120 francs). Mais comme la démonstration est basée sur 200 francs de salaire, le commissaire veut prendre vraisemblablement en compte le salaire de plusieurs ouvriers supplémentaires. La fournée coûte globalement 449 francs. La prix de vente est de 620 francs (500 francs pour les briques et 120 francs pour la chaux). Le bénéfice, de l’ordre de 171 francs, correspond à un gain d’environ 27.5 % par rapport aux dépenses. Cependant, le rédacteur ajoute que ce bénéfice n’est qu’une estimation haute puisqu’il faut encore payer dans certains cas le loyer s’il y a lieu et
généralement tous les frais annexes comme l’achat ou la nourriture des chevaux. Ces prix indicatifs donnent finalement de cette activité une image plutôt sombre, valable pour une seule année. C’est pourquoi ils ne permettent pas de rendre compte de l’évolution des gains accumulés par les différents tuiliers au cours du temps.
– Conclusion :
Les tuiliers de Préaux sont des riches propriétaires et des entrepreneurs avertis qui emploient plusieurs ouvriers. Louis Loiseau est le plus représentatif car en plus de son activité de marchand-tuilier, il accède à la fonction de maire, ce qui dénote chez cet homme un niveau d’instruction important. En cela, sur le canton d’Ecueillé, il demeure une exception.
Nous avons souligné que la production avait globalement augmenté dans la première moitié du XIXe siècle. Malheureusement, le phénomène s’explique mal. Est-il dû à une augmentation du nombre d’ouvriers ou à une modernisation des outils de production, à commencer par le four ? La consultation de nouvelles statistiques industrielles et des archives notariales permettra peut-être d’affiner le regard porté sur ces anciens préaltiens, qu’ils soient tuiliers ou ouvriers et sur leur métier.
Michaël Beigneux – 2009