Nous ne saurions assez remercier notre savant collègue, M. Just Veillat, d’avoir bien voulu se rendre à nos instances en nous livrant l’intéressant travail qu’on va lire. Comme il le dit avec tant de raison, le récit de nos discordes et des égarements populaires entraîne avec lui des enseignements, et il peut, en nous montrant tous les malheurs qui n’en sont que trop souvent la suite, contribuer à en prévenir le retour.
UNE CAUSE CÉLÈBRE DU DÉPARTEMENT DE L’INDRE.
Dépouillement des pièces relatives à la Vendée de Palluau , par M. JUST VEILLAT, membre du conseil général de l’Indre.
A la fin du siècle dernier, le département de l’Indre fut le théâtre d’un événement qui, malgré son importance et les traces sanglantes qu’il laissa après lui, passa inaperçu du reste de la France, et que le Moniteur lui-même, soit calcul, soit indifférence, ne jugea pas à propos de consigner dans ses colonnes. Même dans notre pays, c’est à peine si quelques vieillards en ont gardé un vague souvenir, et l’on se contente de sourire ou de hausser les épaules lorsqu’ils se hasardent à parler de la guerre ou de la Vendée de Palluau.
Et pourtant on ignore ou l’on feint d’ignorer combien de sang et de larmes a coûté cet événement si légèrement traité. De plus, quelques personnes croient, sinon imprudent, du moins inutile, de réveiller des souvenirs qui n’offrent, disent-elles, ni honneur ni profit pour nos archives.
Ces personnes se trompent. L’histoire n’est pas faite seulement pour dorer d’un rayon de gloire les annales d’un pays, elle doit encore lui servir d’enseignement. Et croit-on que le temps soit si défavorable pour puiser une leçon dans le passé ?
Comme on le sait, le mouvement de Palluau, dernier écho de la Vendée, souleva le peuple de nos contrées au nom du principe monarchique et religieux. Il y a quelques années seulement, à la suite de la révolution de février, le peuple de ces mêmes contées subissait une impulsion tout opposée, la fièvre de la démagogie déchaînée sur la France entière. En était-il plus prudent? A-t-il gagné quelque chose à ces échauffements? et n’y a-t-il pas une moralité à tirer de cette antithèse à moins d’un demi-siècle de distance?
Cependant, il faut se hâter de le dire, pour être juste, ce rapprochement ne saurait se faire sans commentaire et sans correctif. Peu partisan par caractère des révolutions violentes ; peu sensible dans tous les cas, même en faveur des meilleures causes, aux arguments de la fourche et du fusil, je ne veux pas me poser en apologiste du mouvement de Palluau. Toutefois je ne puis le confondre avec celui qui, en 1848, épouvanta la société. Le mobile de la Vendée de Palluau n’était, pas plus que celui de la véritable Vendée, cet antagonisme sauvage d’une classe contre l’autre; cet instinct de jacquerie qui agitait naguère notre pays.C’était le résultat de misères trop réelles qui avaient passé sur la France avec la terreur de 93. Pour le bien comprendre, il faut se reporter à ces temps-là. Le peuple avait autant souffert, sinon plus, que la noblesse et le clergé. La famine, la guerre et l’échafaud l’avaient décimé comme les classes supérieures. L’expérience ne lui était pas encore venue des déceptions qui suivent forcément les tempêtes. Ses souffrances lui faisaient rêver un état meilleur.
Il y a plus, les éléments de ce mouvement en prouvent la portée et le caractère. Dans la Vendée de Palluau il pouvait y avoir, il y avait certainement des hommes de coeur et de conviction. Au milieu du peuple on y retrouve des nobles, des bourgeois, et même des prêtres, dont aurait peine aujourd’hui à comprendre le rôle si l’on oubliait les confiscations, les proscriptions dont ils avaient été l’objet ; si l’on rayait de l’histoire cette abominable loi du 30 vendémiaire qui obligeait ces malheureux à venir se dénoncer eux-mêmes pour être embarqués et déportés, faute de quoi faire, ils. devaient être saisis, jugés, condamnés et exécutés dans les vingt-quatre heures ! Mais, au contraire, si l’on veut être impartial, si l’on veut bien se rappeler tout cela, on comprendra que, rejetés hors la loi commune, traqués comme des bêtes fauves, des gens de bien et de sens, des ministres de paix et de résignation, aient pu, à un instant donné, oublier la patience.
Il serait donc injuste de vouloir établir une comparaison entre les deux époques. A la rigueur, d’un côté il y avait motif, au moins excuse; de l’autre, après trente-trois ans de paix et de bien-être, il n’y avait pas même l’ombre d’un prétexte.
Ces réserves une fois faites, je ne vois pas pourquoi l’on ne jetterait pas un coup d’oeil tranquille sur la Vendée de Palluau. Qu’on le sache bien, rien n’est indifférent ni futile dans l’histoire. Pour se passer dans l’intimité, les douleurs d’une famille, les douleurs d’une province, ne sont pas moins intéressantes que celles d’un royaume. En résumé, cette journée des sabots, comme on se plaît à l’appeler, a laissé soixante cadavres sur une grande route, a livré des malheureux au supplice. Cela n’est pas risible ; et j’admire cette indifférence du coeur humain qui, pour tout apanage, lègue la raillerie à un drame aussi sérieux et aussi poignant.
A ceux qui verraient quelque danger dans l’exhumation de cette affaire, ne peut-on pas opposer tout ce qui a été dit et écrit sur la Vendée, la vraie Vendée? Ce grand mouvement a-t-il marqué au front d’une tache indélébile cette belle Bretagne, aujourd’hui fière de se déclarer Française? a-t-il terni l’écusson de sa noblesse? et le nom de La Rochejaquelein et de Bonchamp est-il cloué au pilori de la postérité?
En 1851, j’étais sur le point de publier un volume ayant pour titre la Vendée de Palluau, dans lequel je présentais sous la forme épisodique du drame les diverses péripéties de ce mouvement; on me fit observer qu’à cette époque troublée il serait inopportun d’offrir au public la peinture d’une insurrection, alors que l’insurrection était à l’ordre du jour, et que le noeud gordien restait encore à trancher. Bien que fort de ma conscience, par le soin tout particulier que j’avais pris d’aborder avec la plus grande réserve les noms des personnes et les faits, je cédai sans peine à des alarmes exagérées et j’ajournai une publication aussi inoffensive à mon sens que mes intentions.
Aujourd’hui que le calme a remplacé l’agitation, aujourd’hui que les craintes d’hier nous semblent un rêve, je pourrais sans inconvénient reprendre mon projet. Toutefois, avant de le faire, et dans le but de m’éclairer encore sur la forme et le fond de mon sujet, j’ai éprouvé le désir de soumettre un résumé de mes recherches aux personnes du pays les mieux placées pour m’aider de leurs avis. Je prends la liberté de leur communiquer ici le travail préparatoire auquel je me suis livré et les renseignements authentiques que les archives du greffe et de la préfecture m’ont fournis avec une telle profusion, que je pourrais sans peine, avec leur secours seul, rétablir, jour par jour, un à un, les personnages et les scènes du drame, si leur tendance exclusivement judiciaire menaçait de jeter une couleur trop sombre et de fausser l’impartialité de l’histoire. Ces documents se trouvent :
1° Dans un registre des archives de la préfecture de l’Indre, conte- nant la copie des lettres échangées entre l’administration et les agents de l’autorité, à propos des troubles de Palluau, au nombre de 130;
2° Dans une autre collection de pièces et de lettres originales relatives aux mêmes faits, également conservées au nombre de 221, aux archives de la préfecture ;
3° Dans une liasse déposée aux archives du greffe du tribunal civil de Châteauroux sous le n° 9, contenant la procédure des troubles de Palluau jugés en l’an V (cette énorme liasse,composée de plus de 60 sous-liasses, se subdivisant elles-mêmes à l’infini, renferme, outre l’acte d’accusation, tous les interrogatoires des témoins et des accusés);
4° Et enfin dans les registres du même greffe, où sont inscrits les di- vers jugements intervenus sur cette affaire.
Je le répète, si précis, si véridiques qu’ils soient, ces documents ne rendent qu’un son, celui de l’accusation, et ne laissent aucune place à la défense.
L’examen que je vais commencer sera donc plutôt le dépouillement d’une cause célèbre, qu’un morceau d’histoire. Par conséquent, il devra préjudicier en rien à l’indépendance que je me réserve pour la publication de mon récit, si jamais elle se fait.
On le sait, c’est en l’an IV de la république, ou, pour parler selon notre calendrier, au commencement de l’année 1796, au moment où l’insurrection vendéenne expirait avec Charette et Stofflet sous les coups du général Hoche, que le mouvement royaliste, connu sous le nom de guerre de Palluau, se manifesta dans le département de l’Indre.
Préparé par quelques chouans fugitifs venus de Touraine et par des prêtres, la plupart étrangers, qui cherchaient dans notre pays un asile contre la loi de déportation, le mouvement de Palluau couva d’abord à l’état de feu sous la cendre, sans attirer sérieusement l’attention de l’autorité.
La première pièce qui en fasse mention est une lettre du 13 nivôse an IV (3 janvier 1796), dans laquelle l’administration de Châtillon-sur-Indre signale à l’administration centrale du département les messes clandestines célébrées de nuit par des prêtres insermentés et vulgairement appelées « messes au prêtre caché ».
Voici cette lettre, qui dépeint assez bien la situation et l’embarras de l’autorité :
« Nous vous faisons passer, citoyens, un arrêté que nous avons pris le 6 de ce mois au sujet des rassemblements nocturnes qui ont eu lieu dans le canton, le 4 et le 5, et dont le but a été d’entendre des messes célébrées par des prêtres inconnus qui ont disparu aussitôt.
Dans les circonstances où nous nous trouvons, jugez de notre embarras. C’est la masse des citoyens qui se rassemble, et il est dangereux de mettre en butte (sic) la force armée avec le peuple.
Dans l’état actuel des choses, la prudence doit baser nos opérations ; nous avons à lutter contre l’opinion religieuse, à mettre des entraves au fanatisme et à la malveillance, afin d’éteindre dès sa naissance le feu de la révolte.
La seule chose qui doit nous occuper, c’est de nous assurer des prêtres qui causent ces troubles ; les mesures que nous avons prises à cet égard réussiront sûrement, si nous sommes secondés.
La gendarmerie fait tous les jours des courses nocturnes ; tout paraît calme en ce moment ; la garde nationale va aussi exercer une surveillance exacte.
Nous avons tout lieu d’espérer que le peuple reviendra de son erreur. Il est bon et aime ses magistrats. Nous vous informerons de la position de ce canton régulièrement ; comptez sur notre zèle pour le maintien de l’ordre. » (Archives de la préfecture – Registre des lettres relatives aux troubles de Palluau, n° 1 des lettres reçues).
Trois jours après (16 nivôse), une lettre de l’administration de Mézières signale l’esprit de fermentation qui règne dans la commune de Saulnay, les messes clandestines célébrées par des prêtres coureurs, notamment à la Marchandière chez le citoyen Sorbiers, ex-noble qui s’attache à propager les principes contraires au bon ordre. On ajoute que dans ces réunions on s’y rend armé, qu’on s’y répand en propos séditieux et contre-révolutionnaires et qu’on n’attend que l’occasion pour faire du pays une nouvelle Vendée. (Archives de la préfecture – Registre des lettres relatives aux troubles de Palluau, n° 14 des lettres reçues).
Malgré ces avertissements, corroborés par des rapports de gendarmerie, il ne paraît pas que l’administration centrale du département se soit beaucoup émue ; car un mois plus tard (le 20 pluviôse – 9 février), nous la voyons assez embarrassée de répondre aux explications que le ministre de la guerre lui demande sur son inertie et sur les dénonciations dont elle a été l’objet.
Après avoir, de son mieux, repoussé les divers chefs d’accusation relatifs aux prêtres insermentés, à la destruction de l’arbre de la liberté à Palluau, à l’enlèvement d’un déserteur, et aux autres réfractaires dont la forêt de Châteauroux serait remplie, l’administration déclare qu’elle a pris toutes les mesures pour faire exécuter les lois du 3 brumaire et du 7 vendémiaire ; mais qu’elle n’a pu parvenir à organiser la garde nationale, et qu’elle ne saurait se reposer sur la gendarmerie sans le secours d’une force étrangère. Elle termine par des protestations de dévouement et de respect à l’endroit de la république. (Idem, n° 2 des lettres envoyées).
Toutefois, à partir de ce moment, elle semble se décider à agir. Elle prescrit des recherches au sujet des vagabonds et des prêtres insermentés ; elle cite à sa barre le citoyen Audouin, notaire et président de l’administration de Palluau, qui, sans trop de façons, décline cette assignation, en s’excusant sur son grand âge et sur les neiges qui encombrent les routes. Elle demande compte à son tour aux administrations locales de leur inaction ; en réfère au ministre de la police, à l’accusateur public, au directeur du jury ; elle ordonne des mouvements de gendarmerie et sollicite des envois de troupes des départements voisins. (Idem, lettres envoyées, n° 3, 6, 7, 8, 9, 12, 15, 16, 18, 19, 20, 21, 22 et suivantes).
Mais le mois de ventôse est venu ; la propagande a pris des proportions considérables, sous l’ardente direction d’un prêtre auvergnat, le curé Floret, qui, grâce à un séjour de trois ans dans le canton de Palluau, a su s’y créer une grande influence.
D’autre part, les trois frères de Chollié, que leurs opinions royalistes bien connues avaient momentanément forcés de s’éloigner, reviennent à leur château de la Joubardière, près Palluau, en compagnie d’un certain général Fauconnet, qui leur avait été adressé, disaient-ils, par Auguste Leveneur, aide de camp de Condé et gouverneur pour le roi des provinces de Touraine et de Berry. Ce prétendu général Fauconnet, auquel l’instruction restitue son vrai nom d’Adrien Dupain, ci-devant clerc tonsuré, fils d’un épicier de Paris, et qui avait simplement servi les chouans sous les ordres de Scépeaux, avec le grade de capitaine, est présenté par les frères de Chollé aux autres familles de la contrée, comme un des plus braves champions de la royauté, appelé à restaurer dans le Berry le trône et l’autel (1). Bientôt ils se mettent en communication avec le curé Floret et les autres prêtres, et groupent autour d’eux les personnages les plus influents et les plus agissants.
A la même époque on voit paraître dans la commune de Saulnay un comte du Boisdrais, forcé, dit l’acte d’accusation, par la faim et la misère, de repasser le Rhin. Accueilli par M. de Sorbières, autre gentilhomme du pays, il s’établit au château de la Marchandière, sous le nom de Barrault, et, aidé du curé Rachepelle, entreprend dans cette partie du département la même propagande que les frères de Chollé et le général Fauconnet aux environs de Palluau.
La Marchandière et la Joubardière ne tardent pas à se tendre la main, et cette dernière devient le quartier général de l’insurrection. C’est là que, sous prétexte de chasse, on réunit les principaux initiés, les deux frères Legrand, de Valençay, Louis et Augustin, qu’on retrouve partout et toujours en tête du mouvement ; les trois Renaud, meuniers de Palluau et fermiers de la Joubardière ; les curés Floret, Estevannes, Héraudet ; puis, la jeunesse du pays, principalement représentée par le jeune Audouin, fils du maire, et par Lubin Guéry, fils du secrétaire de la municipalité, tous deux atteints par le recrutement et refusant de rejoindre leurs corps.
Dans ces réunions, où de temps en temps apparaissent, comme correspondants des départements voisins, un jeune Laneufville, demeurant à Genillé (Indre-et-Loire), Louis Leroy, notaire et assesseur du juge de paix à Montrichard (Loir-et-Cher), on se concerte, on organise les moyens d’attaque, on dépêche des émissaires, on se distribue les rôles, on fixe le jour et l’heure de l’action à laquelle, de retour chez soi, chacun prélude par de petits exploits qui défrayent les rapports des gendarmes et des agents de l’autorité.
Ces rapports en effet, ne parlent bientôt plus que de groupes armés parcourant les campagnes et visitant les maisons, de fusils et de piques volées, de déserteurs enlevés, d’arbres de liberté sciés ou renversés. (Archiv. de la Préf. – Liasse relative aux troubles de Palluau, n° 3, 4, 6, 10, 14, 15, 16 et 20).
En annonçant les désordres commis dans leurs communes, les agents municipaux s’excusent sur l’absence de tout moyen de répression, tandis que la gendarmerie taxe ces mêmes agents de faiblesse ou de complicité.
L’administration centrale du département ne sait auquel entendre, gourmande la force armée et cite devant elle les agents inculpés.
Enfin, le 19 ventôse (9 mars) elle apprend que l’insurrection a pris des proportions considérables, qu’une bande de 150 hommes a fait irruption, la nuit précédente, dans la commune de Clion, où elle a abattu l’arbre de la liberté, volé les piques de la mairie, désarmé les citoyens et violé le domicile de l’administrateur du district, le citoyen Franquelin-Dubreuil. Le but de cette expédition était de se porter sur Châtillon pour y délivrer un déserteur nommé Louis Bonami, fils du fameux Bonami, dit Crève-Bouchure, garde-champêtre de Clion, qui va devenir un des héros de la Vendée de Palluau.
Je crois devoir citer ici, comme un document des plus intéressants, la lettre par laquelle le lieutenant de gendarmerie Robert, cantonné à Châtillon, annonce cette nouvelle au capitaine Vézien. En voici les principaux passages :
« Enfin, mon cher capitaine, le rassemblement qu’on nous dit avoir eu lieu hier chez le citoyen Lavergne, a eu des desseins hostiles en se portant sur la commune de Clion, où de bons et braves citoyens ont été maltraités, notamment le citoyen Dubreuil, qui a été tiré de plusieurs coups de fusil. Sur les deux heures du matin, il est arrivé à Châtillon, pieds nus, ayant deux fusils avec lui. Voici ce qu’il m’a dit : A minuit, 150 hommes environ ont tourné sa maison, ayant à leur tête un homme à cheval. Sur le bruit, il s’est réveillé et a monté à la fenêtre de son grenier ; voyant qu’on s’acharnait à vouloir briser les portes, il s’est écrié : Au secours, braves patriotes ! A l’instant, un gredin de la bande a crié : Nous t’en f…. des patriotes, et une décharge s’en est suivie. Alors Dubreuil a gagné les derrières de sa maison communiquant à un jardin que ces scélérats ne gardaient pas ; il en a affranchi (sic) les murs et c’est caché à 200 toises environ, d’où il a entendu des cris de miséricorde et ceux de Vive le roi et suis-nous. Vous jugerez par là que les premiers étaient des opprimés et les derniers des brigands. Notez qu’ils étaient tous en armes et sabots, ce qui prouve que c’est la campagne réunie qui s’attroupe.
Au caractère que les choses prenaient, je pense n’être pas assez en force pour opérer avec succès ; mais ne composant jamais avec les ennemis de mon pays, j’ai pris les mesures les plus sévères pour couvrir la commune de Châtillon …
Je vous rendrai un compte exact de mes découvertes, et, sans crainte de transgresser les lois parmi les insurgés, je vais fouiller de tout côté.
D’après les renseignements pris sur le compte de l’agent municipal de Clion, je pense que c’est un ennemi de l’ordre. Le 16, en parcourant cette commune, je le vis et le questionnai sur tout ce qui s’est passé précédemment. Il me dit qu’on était venu lui demander les clefs de l’église, et alors les piques étaient volées. Il a fini par m’assurer qu’il n’avait aucune connaissance de ces bruits.
Hier ce citoyen était à Châtillon ; le nommé Bonami y est arrivé furtivement, et instruit qu’il avait été voir son fils aux prisons, je m’y suis transporté pour m’informer auprès de l’officier déserteur de leur conversation. Il me dit qu’un des deux arrêtés le 16 avait dit : « Nous ne serons pas longtemps ici ; ce qui prouve qu’il avait des desseins, d’autant mieux que ce Bonami, le jour de leur arrestation, a couru Palluau, où on assure qu’il a formé un rassemblement, qui doit venir forcer les prisons de Châtillon. Mais je vais y mettre bon ordre, en faisant passer les prisonniers à Loches. L’administration municipale a demandé des secours à cette commune où il existe quelques troupes« . (Arch. de la Préf. – Liasse des troubles de Palluau, pièce 22).
Dans une deuxième lettre, écrite le même jour, à l’administration centrale, sur le même fait, le lieutenant Robert ajoute qu’on a remarqué en tête des insurgés un homme à panache, vêtu d’un habit cendré, d’une longue veste et d’une culotte de soie, et fort bien chaussé ; que cet homme a laissé dans la maison du citoyen Franquelin-Dubreuil un superbe gant de daim brodé en soie ; qu’il avait environ cinq pieds six pouces de hauteur, et que beaucoup de gens s’accordent à dire que c’est le citoyen d’Hilaire de Joviac ; qu’enfin ces brigands ont fait crier Vive le roi et la religion aux citoyens connus par leur attachement à la chose publique, en leur mettant le poignard sur la gorge. Il termine en annonçant qu’il va faire fouiller les châteaux de la Tremblais (à un kilomètre de la Marchandière), de Paray et de l’Isle-Savary. (Id. pièce 23).
Je dois faire observer en passant que le lieutenant Robert se trompe sans doute en indiquant M. d’Hilaire de Joviac comme le chef des insurgés à Clion. M. d’Hilaire de Joviac, propriétaire de la Jarrerie, ne figure dans les pièces de la procédure, ni comme accusé, ni comme témoin, ce devait être plutôt le général Fauconnet, dont le panache blanc sera les jours suivants le signe de ralliement.
Suivons encore le lieutenant Robert, qui devient notre historien en tenant, heure par heure, l’administration au courant des progrès de l’insurrection. Je ne puis mieux faire que de puiser dans sa correspondance les détails les plus curieux, jusqu’au moment très-prochain où il tombera lui-même victime de son zèle.
Après avoir détaillé dans ses lettres du 20 et du 21 ventôse les précautions prises pour couvrir Châtillon, jusqu’à l’arrivée des 200 hommes envoyés de Tours à double journée, il rend ainsi compte des renseignements recueillis par ses affidés :
« Le rassemblement ordinaire des brigands est sur la Chaume de Bonne-Nouvelle, derrière Palluau, en avant des bois de Paray. La première fois ils étaient 200 ; la seconde 300. Maintenant ils grossissent leurs pelotons ; ils sont armés de faux, piques, fourches et d’armes à feu volées chez les propriétaires« .
L’affidé dit que Bonami, dit Crève-Bouchure, dont le fils est arrêté, est un des plus terribles. Il se barbouille toujours de noir, et est à la tête des rebelles ; qu’à Palluau il y a beaucoup de volontaires que les insurgés veulent faire marcher, mais ils s’y refusent ; quelques-uns cependant ont pris parti avec eux.
Il y a aussi des déserteurs étrangers.
Ce matin, Héraudet, le bonhomme « le Grand-Noir et Fleuret » (Floret) ont dit la messe à Palluau. Ce dernier était chez le citoyen Deniau, charpentier en moulins, où il a officié et prêché en faveur de la royauté et de la religion. Voici ses expressions ordinaires : Tenons bon pour la cause des rois ; quel impôt plus cher pouvez-vous payer pour une cause imaginaire, puisque vous donnez votre sang en vos enfants ? Voyez Jésus-Christ couvert de blessures pour vous, etc., etc. Les autres prêtres sont encore plus terribles que Fleuret, de qui ils reçoivent des pouvoirs. Ils sont derrière les révoltés pour faire marcher en masse les cultivateurs ; ils espèrent sous peu avoir 30.000 hommes.
Le 18 courant, un cavalier à manteau rouge, bien monté, très bel homme, est venu à Palluau. Il s’est dit le comte d’Artois et a mis pied à terre chez le meunier, qui est fermier du château de la Joubardière où il y avait hier un repas de 25 couverts. Beaucoup d’imbéciles croient que c’est réellement le comte d’Artois.
Il y a une correspondance suivie de Palluau à Villedieu. On connaît et on sait tout ce qui se passe au département.
Le citoyen Deparay père (M. de Wissel de Paray) est mort à son château il y a près d’un mois. Ses deux fils y sont réfugiés. On les dit classés parmi les émigrés.
Demain j’irai à Préaux avec 25 gendarmes, où j’arrêterai grande partie des habitants de cette commune qui ont été trompés. Sous ce rapport, il devient politique d’avoir des égards pour des gens égarés. Je prie le département de croire mon rapport sincère et véritable. Il sort de bons citoyens qui veulent l’ordre et aiment les lois. » (Archives de la préfecture, liasse des troubles de Palluau, pièce 48).
Pendant que le lieutenant Robert rend compte de ce qui se passe sous ses yeux, le général de brigade Desenfants, en résidence à Buzançais, apprend que quatre gendarmes, sous la conduite du maréchal de logis Angineau, ont été attaqués dans une auberge de Pellevoisin où ils étaient descendus, par une vingtaine d’hommes barbouillés de poudre broyée et armés, qui les ont mis en joue en criant : Où sont-ils les sacrés gueux ? … Les voilà ! Rendez-vous avec vos armes : mettez-vous des nôtres. – Vive le roi, vive la religion ! Dans quinze jours il n’y aura plus un gendarme ! ; mais que, devant la bonne contenance du maréchal des logis et de ses hommes, les insurgés ont battu en retraite, en se contentant d’enlever de l’écurie les chevaux des gendarmes, qui ont dû revenir à pied à Buzançais, où l’on a recueilli leur déposition. (Id. pièce 49).
On le comprend sans peine, l’affaire de Clion et ce dernier coup de main, exécuté, au dire de l’instruction, par le fils Audouin, devaient enhardir les insurgés, qui plus que jamais occupaient à la Joubardière des moyens d’effectuer leurs projets avec avantage. On rassemblait les armes, on fondait des balles avec le plomb détaché de la couverture du château par le charpentier Massé. Les communications devenaient de plus en plus actives entre la Joubardière et la Marchandière, et les meuniers de Palluau se chargeaient de faire passer les lettres tandis que le curé Floret s’abouchait avec les agents de Gehée et de Préaulx et excitait ces communes à se prononcer.
Tels étaient, suivant l’instruction, l’état des choses et la situation des esprits, lorsque, le 22 ventôse (12 mars), on vit arriver, à cheval, à la Joubardière, le bûcheur Joseph Seintier, criant aux armes et annonçant que vingt gendarmes enlevaient à Préaulx plusieurs habitants de la commune et le curé qu’ils conduisaient en prison à Châtillon. A cette nouvelle, le tocsin sonne à Palluau. Fauconnet, le chevalier de la Joubardière et Chollé-Rançay, qui s’étaient réunis à eux, partent en armes avec les Legrand, les enfants Guéry, Bonami, dit Crève-Bouchure, et plusieurs autres, la plupart ayant le visage barbouillé de noir ou de blanc. Ils forcent tous ceux qu’ils rencontrent, et notamment le nommé Royer, garde de Poiriers, à se réunir à eux, et ils arrivent dans la commune de Saint-Médard, au domaine des Fourneaux, chez le citoyen Pocquet, où ils ont appris que les gendarmes s’étaient retirés pour se raffraîchir, et où nous devons retrouver le lieutenant Robert. (Archives du greffe – Acte d’accusation, p. 11).
Bientôt la maison est attaquée à coups de fusil. La moitié des gendarmes prend la fuite. Resté seulement avec cinq de ses camarades, Robert se présente devant les insurgés et commande le feu. On lui riposte. Un de ses hommes, nommé Préjoly, a la cuisse cassée ; Robert lui-même est blessé ; mais, malgré sa blessure, il continue de s’avancer, et à l’instant où il atteint de son pistolet la main d’un des Guéry, il reçoit un second coup de feu qui le met hors de combat. Voyant désormais toute résistance impossible, les autres gendarmes sont contraints de se rendre, et, à partir de ce moment, du témoignage même de l’accusation, sont protégés contre l’animation de Crève-Bouchure par Fauconnet, qui, après avoir confié les blessés à la famille Pocquet, reprend avec quatre prisonniers la route de Palluau.
Mais avant de le suivre, il ne sera pas sans intérêt de compléter ce récit par la version qu’en donne lui-même, de son lit de douleur, le malheureux Robert, dans une lettre écrite deux jours après, sous sa dictée, aux administrateurs du département. Outre que cette lettre témoigne du caractère énergique et généreux de son auteur, elle tend à disculper le jeune Legrand de l’accusation formulée contre lui d’avoir tiré sur le lieutenant Robert. Voici cette pièce :
« Châtillon, 24 ventôse, an IV.
Si mes forces, citoyens administrateurs, m’eussent permis de vous rendre compte le 22 du courant de la malheureuse aventure qui m’est arrivée, je l’aurais fait. Instruit que, dans la commune de Préaulx, il y avait nombre d’insurgés, je m’y suis transporté avec un détachement de vingt gendarmes. Là, j’ai fait arrêter sept individus qui avaient marché dans la nuit du 18, plus deux hommes suspects que je crois être d’intelligence avec Fleré (Floret), puis encore le citoyen Roux, ex-prêtre non assermenté, sur lequel il s’est trouvé des pièces qui indiquent la désobéissance aux lois, notamment une protestation de serment faite par lui conjointement avec ledit Fleré, et d’autres papiers de même espèce. Je l’ai fait fouiller encore plus scrupuleusement ; il s’est trouvé sur lui 125 louis en or, un calice, une patène, un ciboire et une fiole d’argent contenant des huiles.
Mon opinion finie, j’ai détaché un maréchal des logis et sept gendarmes pour conduire ces individus à la prison de Châtillon. De là, je me suis porté à la tête de douze autres gendarmes pour arrêter dans la commune de Saint-Marc (Saint-Médard) le citoyen Galand, prêtre, conformément au registre du comité exécutif de Châtillon.
Ne l’ayant pas trouvé, je me suis transporté aux Fourneaux, où j’ai fait les recherches les plus scrupuleuses de cet individu. C’est en ce moment que la troupe et moi nous nous sommes trouvés assaillis par une décharge de mousqueterie lâchée par des brigands qui nous ont enveloppés et qui m’ont crié que si nous voulions rendre nos armes, nous n’aurions pas de mal. Une telle proposition répugnait à mon coeur ; j’ai couru furieux ; mais investi par le grand nombre, j’ai tombé sous leurs coups et à côté de moi le gendarme Préjoli. Vous sentez, citoyen, combien il en coûte à mon coeur de vous faire la peinture de cette malheureuse affaire ; mais ne composant pas avec mes devoirs, mes armes ne m’ont été arrachées que quand j’ai été couvert de blessures et que j’ai eu perdu connaissance. Les rebelles m’ayant encore entouré dans cet état ont voulu me contraindre à crier : Vive le roi et la religion. J’ai rassemblé le reste de mes forces pour leur dire que cette imprécation ne sortirait jamais de ma bouche ; plusieurs étaient décidés à m’achever, lorsque tout-à-coup l’un d’eux, se nommant Legrand, leur a dit : Vous avez tué un brave homme qui a été mon intime ami. De suite ils disparurent, emmenèrent les armes, les chevaux et quatre gendarmes. Je dois vous observer que ces gendarmes ont écrit des prisons de Palluau que le chef des brigands les avait assurés qu’il les traiterait comme ceux de Préaulx que j’ai pris le seraient par nous. Les forces me manquent, je finis et vous salue fraternellement. (Signé Robert.) (Cette signature est très-tremblée ; le corps de la lettre est d’une autre main).
P.S. L’argenterie, hors les 125 louis en or, sont entre les mains des brigands, parce qu’on l’avait mise dans un porte-manteau qui a été pris avec les chevaux. Les individus que j’ai pris à Préaulx sont restés dans les prisons de Châtillon jusqu’à ce que vous ayez donné de nouveaux ordres à leur égard. Peut-être serait-il politique de les laisser ici quelque temps. Leurs femmes sont venues ce matin pour les voir et leur apporter des provisions. On a fait l’ouverture de leurs paquets, on n’y a rien trouvé. Traitez plutôt ces individus comme égarés que comme rebelles.
J’avais oublié de vous instruire que l’avant-garde des rebelles qui m’a attaqué était de 80 hommes ou environ, tous bien armés, forts et robustes. Au bas d’un bois, ils avaient formé une haie de 30 hommes à cheval, et dans le bois un gros d’hommes armés de piques, faux et autres instruments meurtriers, à l’effet d’intercepter nos points de retraite. » (Archives de la préfecture ; liasse des troubles de Palluau, pièce 82).
Rejoignons maintenant la colonne expéditionnaire qui revient triomphante à Palluau, et qui rencontre à mi-chemin une autre bande d’insurgés sous les ordres du comte du Boisdrais et de M. de Sorbiers. A la nouvelle du succès remporté à Saint-Médard, à la vue des gendarmes prisonniers, les deux troupes font retentir l’air des cris de vive le roi, vive la religion, et rentrent ensemble à Palluau, où les curés Floret, Héraudet et Giraudon les félicitent et entonnent le Te Deum et le Salve Regina devant la porte de l’église.
Après cette cérémonie, on enferme les gendarmes dans le vieux château et on arbore le drapeau blanc ; on pose des sentinelles, on allume des feux de bivouac, et c’est alors que les habitants, en décrétant l’abolition de la république, sont sur le point de déclarer leur ville capitale de la France et du roi Louis XVIII.
Cependant une scène déplorable, comme il s’en produit trop souvent dans ces moments d’effervescence, vient assombrir ces trop naïves illusions. Dans leur ivresse, les vainqueurs veulent imposer la joie générale et les cris de vive le roi à un jeune soldat nommé Sournin, bien connu pour ses opinions républicaines. Celui-ci s’y refuse et provoque à son tour ses adversaires. A cet effet il rentre chez lui pour détacher son sabre de la cheminée ; au moment où il revient avec son arme, il tombe frappé d’un coup de feu et reste mort sur le carreau.
Ce meurtre, dont personne ne veut se reconnaître l’auteur, est attribué par l’acte d’accusation à Fauconnet, qui, plus tard, dans un mémoire publié pour sa défense, s’en défendra énergiquement, en se disant incapable d’un crime qui est celui d’un scélérat et d’un lâche.
Il en serait de même du meurtre d’un mendiant qui, suivant l’acte d’accusation, aurait été surpris dans un buisson, et que les insurgés auraient fusillé, puis jeté dans la rivière, comme un espion des républicains.
Outre que l’instruction ne paraît pas avoir fait des preuves suffisantes, l’exemplaire de l’acte d’accusation que j’ai entre les mains, et qui me vient de la source la plus honorable, porte, en marge des passages relatifs à ces deux faits, ces annotations : faux, article faux ; d’où je conclus qu’il y a obscurité, au moins en ce qui concerne les auteurs de ces mêmes faits.
Le jour suivant, 23 ventôse, les insurgés réunissent leurs forces et partent de la Joubardière, au nombre d’environ 400. Le général Fauconnet marche à leur tête, portant un panache blanc à son chapeau. Il est accompagné de M. de Sorbiers, du chevalier de la Joubardière, des deux Legrand et des enfants Guéry, qui lui servent d’état-major, montés sur les chevaux des gendarmes.
On prend la route d’Ecueillé, que l’on sait occupé par un certain nombre de volontaires républicains. Chemin faisant, on s’arrête au château du Mée, chez M. Edmond de Menou, où le général Fauconnet commande en maître, requérant les armes et des rafraîchissements pour sa troupe. M. de Menou descend dans la cour avec deux dames de sa famille, et, à la vue des insurgés qui le saluent de leurs clameurs, soit concession, soit sympathie, répète avec eux le cri de vive le roi ; ce qui suffira pour le placer plus tard au nombre des inculpés.
De là l’on se rend au château de Poiriers, chez M. de Montbel, qui doit également livrer ses armes. Le curé Floret y harangue la colonne expéditionnaire et annonce que le moment est enfin arrivé de combattre avec courage pour la religion et le roi.
C’est dans ces dispositions qu’on se remet en marche sur Ecueillé. Arrivé à un quart de lieue du bourg, Fauconnet s’avance lui-même à la découverte et revient en disant qu’on va éprouver de la résistance de la part des troupes qui y sont cantonnées. En effet le feu s’engage. Trop peu nombreux pour résister, les volontaires républicains ne tardent pas à prendre la fuite, en laissant trois ou quatre des leurs sur le terrain. Les insurgés entrent triomphants dans Ecueillé, dont les principaux honneurs leur sont faits par un cordonnier du pays, déserteurs des armées de la république, nommé Jacques Blanchet, dit Carmagnole, destiné bientôt à terminer d’une façon tragique le triste rôle qu’il joue dans cette affaire.
Là encore, il faut se hâter de jeter un voile sur quelques déplorables épisodes, inséparables des guerres civiles. Un volontaire blessé est achevé par un furieux, pour s’être refusé au cri de vive le roi ; l’arbre de la liberté est coupé, les papiers de la municipalités sont brûlés, et les chefs ont la plus grande peine à protéger les maisons des citoyens suspects de républicanisme.
Le lendemain (24 ventôse), après avoir entendu la messe sous la halle, la colonne insurrectionnelle évacue Ecueillé, emmenant le caisson des volontaires, traverse Préaulx, où elle force la maison de Joseph Billieux, renverse l’arbre de la liberté et rentre enfin à Palluau, précédée déjà par le bruit de ses exploits.
L’ivresse est à son comble, le triomphe est complet. Le comte du Boisdrais, qui est resté pour commander la ville, s’avance au-devant des vainqueurs, suivi de la population enthousiaste. Des femmes en grande toilette, parmi lesquelles se distinguent mesdemoiselles de Chollé et la fille du maire, Anne Audouin, leur offrent des bouquets, des rameaux de myrte et de laurier ; attachent à leurs chapeaux des cocardes blanches, qu’elles ont elles-mêmes préparées. On échange des harangues, des compliments ; les cérémonies religieuses de la veille se renouvellent ; on se réunit dans des banquets, et l’on ne surseoit à la joie que pour combiner de nouveaux triomphes et se préparer à marcher sur Buzançais.
Mais avant d’aborder cette journée du 25, qui sera le dénoûment de la Vendée de Palluau, jetons un regard en arrière, et voyons avec quelles dispositions d’esprit et quels moyens d’action l’administration centrale s’est préparée à la lutte.
Il faut bien l’avouer, sa confiance ne s’est pas accrue avec les évènements, et, dans toutes les pièces que nous avons sous les yeux, nous remarquons les symptômes de la plus grande inquiétude, pour ne pas dire du plus grand découragement. Cependant il ne faut pas cette fois lui reprocher son inaction. Déjà nous l’avons vue s’adresser au ministre de la police, au ministre de la guerre, aux chefs militaires des départements voisins.
Quelques jours après, elle a fait appel aux forces vives du pays, enjoignant aux administrations locales de recruter parmi les gardes nationales un contingent de volontaires dont elle a fixé le chiffre, et à défaut de gens de bonne volonté, d’arriver à ce contingent par la voie du sort, et enfin par la force … Mais, hélas ! si légale et si pressante qu’elle soit, cette injonction ne servira qu’à mettre au jour l’impuissance de l’autorité départementale et les médiocres sentiments de ses administrés envers la république ; car de toutes parts, de chaque commune, grande ou petite, lui tombe une seule et désespérante réponse qui, vue à distance, frise la comédie.
Invariablement, sauf la formule de rédaction, on annonce, qu’en conformité des ordres reçus, les gardes nationaux de la commune de … ont été convoqués à l’effet de former le contingent demandé par l’administration. On ajoute invariablement que, malgré les plus vives sollicitations personne n’ayant voulu se dévouer volontairement, on a dû recourir à la voie du scrutin. Invariablement aussi, on a la douleur de déclarer que les citoyens indiqués par le sort et dont on envoie les noms, à défaut des personnes, se sont refusés à partir, ce à quoi on n’avait pu les obliger, en l’absence de tout moyen coërcitif. (Archiv. de la Préf. Liasse de Palluau, pièces 56, 60, 62, 64, 69, 80, 81, etc., etc.)
Pourtant, pour être impartial, et pour ne pas avoir l’air de nous présenter nous-même à cette comédie, signalons deux exceptions fournies par la commune de la Châtre et celle du Blanc. La première annonce que quatre citoyens se sont volontairement enrôlés ; la seconde, que le citoyen Giberton s’est présenté seul de bonne volonté pour le triomphe des armes de la République. L’histoire ne dit pas qu’ils sont partis. (Id. pièces 77 et 79)
En présence de ce résultat, l’administration renouvelle ses démarches près des ministres de la police et de la guerre, frappe à toutes les portes, écrit dans les termes les plus pressants aux administrateurs du Loiret, de la Haute-Vienne, de la Creuse et du Cher, à la députation de l’Indre, au commandant de la place d’Orléans. (Arch. de la préf. Registres des lettres, n° 91, 94, 95, 96, 97, 99, 100, 102, 103, 104, 106, 107, 114) Elle lance dans le département la proclamation suivante, dans laquelle elle fait jouer toutes les cordes du patriotisme et du salut public :
« La commune de … serait-elle insensible à la voix de ses administrateurs, à celle de la tranquillité publique troublée et à celle de l’honneur ? Que sont devenus ses principes de civisme et de gloire dont elle a donné tant de preuves dans le commencement de la révolution ? L’égoïsme, la pusillanimité, auraient-ils donc pris la place de l’amour de la patrie et de la gloire ? Nous ne pouvons le croire ! Souvenez-vous, citoyens, que l’honneur est un bien solidaire ; si vingt sont insouciants, s’ils voient avec indifférence s’organiser le brigandage dans leurs foyers, tous les habitants de … ne partagent pas sans doute de tels sentiments et ne veulent pas être réputés complices d’une défection si honteuse ! Le déshonneur de vingt citoyens ne sera pas le déshonneur de tous.
Aux armes, citoyens ! l’honneur, le devoir et votre propre sûreté l’exigent. Les brigands n’étant pas repoussés, seront bientôt à vos portes. Vous crierez au secours ; alors vos frères, endurcis par votre exemple, ne vous seconderont point. La loi est là pour réprimer la désobéissance de ceux qui ne veulent pas obéir à la réquisition des magistrats ; vous devez l’appliquer contre les gardes nationales qui ont fait défection. Quand elles sont requises, elles sont en activité ; quand elles désobéissent, la peine doit être prononcée. Cette peine est déterminée par l’art. 15 de la loi du 4 octobre 1791. Cette mesure ne vous empêche pas, citoyen, de requérir d’autres gardes nationales qui s’empresseront de voler au secours de nos frères opprimés. La commune de … serait-elle donc la seule qui se refuserait d’obéir à l’appel fait aux bons citoyens ? Tandis qu’un zèle patriotique enflamme tous les citoyens du département, vos concitoyens ne demeureront pas froids spectateurs de leurs généreux dévouement.
Signé : Les Administrateurs.
P.S. Conformez-vous strictement à l’article 3 de notre arrêté. » (Id. n° 114)
Enfin, le 24 ventôse, la veille de la bataille de Buzançais, nous la voyons recourir, de guerre lasse, au pacificateur de la Vendée, au général Hoche lui-même :
« C’est à vous général, s’écrie-t-elle en terminant, que nous croyons devoir nous adresser directement pour obtenir ces secours … Après avoir éteint la guerre de la Vendée, c’est à vous qu’il appartient d’en poursuivre les débris. » (Id, pièce 116).
Cependant, et en résumé, tous ces efforts ne sont pas restés sans résultat. La défense s’est organisée tant bien que mal. Le général Desenfants est à Buzançais, où il concentre des forces pour s’opposer au passage des rebelles ; l’adjoint général Devaux se tient à Châtillon avec quatre-vingt-quatre hommes d’infanterie, attendant les renforts qui arrivent de Tours.
La journée suivante va prouver que ces faibles ressources étaient plus que suffisantes.
Retournons donc à Palluau, au milieu des insurgés plongés dans tout l’enivrement de leurs victoires et de leurs espérances.
La soirée et la nuit du 24 ventôse se sont passées à préparer la journée du lendemain ; des émissaires de Fauconnet ont porté dans les communes voisines l’ordre écrit de se réunir sous le commandement de M. de Marolles, du Rabris, pour venir rejoindre à Palluau « les braves royalistes triomphants à Ecueillé » (ce sont les termes propres du message). D’autres ont parcouru la campagne, visité les domaines, et, de gré ou de force, entraîné les paysans ; de telle sorte que, dans la matinée du mardi 25, plus de six cents hommes sont rangés en bataille, prêts à marcher sur Buzançais.
On les réunit dans un champ où le curé Estevannes leur dit la messe et les harangue pour les disposer au combat ; après quoi, sur le signal du général Fauconnet, on se met en marche par la petite route de Saint-Genou, autant pour faire de nouvelles recrues, que pour éviter la rencontre d’une colonne d’infanterie qu’on aperçoit venant de Tours et se dirigeant sur Buzançais.
Chemin faisant, la boule de neige se forme, et lorsque, après avoir dépassé Saint-Genou et les vignes d’Estrées, les insurgés rejoignent la grande route, leur nombre s’est augmenté d’un bon tiers.
Devant eux, à une demi-lieue de distance environ, s’avance toujours la compagnie d’infanterie, qui loin de paraître disposée à les attendre et leur faire face, accélère le pas vers Buzançais. Nouveau sujet d’orgueil et de la confiance pour la colonne insurrectionnelle, qui poursuit de ses cris les prétendus fuyards.
Buzançais
On marche ainsi pendant quelque temps, se perdant de vue et se retrouvant, suivant les mouvements de terrain, et l’on arrive à peu de distance de Buzançais, devant le petit pont d’Enard.
A cette époque, les voies de communication, la plupart inachevées, étaient loin d’avoir atteint le degré de perfection qu’elles doivent à nos ingénieurs actuels. Le ruisseau d’Enard formait alors en travers de la route une tranchée profonde, et le passage ne pouvait se faire qu’au moyen d’un mauvais pont de bois, fort étroit, jeté provisoirement d’un bord à l’autre de la tranchée, et remplacé depuis par un arceau de pierre. D’autre part, les bas-côtés, aujourd’hui convertis en prairies fertiles, n’étaient que marécages et fondrières, surtout dans la saison d’hiver. C’était donc un passage critique.
Aussi, avant de l’effectuer, un mouvement d’hésitation se manifeste ; on jette un coup d’oeil en arrière et en avant : en arrière, pour voir si on ne se coupe pas la retraite ; en avant pour se rendre compte des dispositions de l’ennemi.
Chose étrange, la colonne d’infanterie a disparu et elle est remplacée par un petit nombre de cavaliers qui, placés sur la hauteur, semblent plutôt des éclaireurs prêts à se replier au premier mouvement, qu’une troupe décidée à prendre l’offensive.
Cette immobilité de l’ennemi décide les chefs, qui ordonnent de traverser le pont. La colonne s’allonge et le Rubicon est franchi au cri de vive le roi. Tout à coup, la cavalerie ennemi répond par le cri de vive la république et par le chant de la Marseillaise ; puis s’élançant au galop, sous la conduite du général Desenfants, tombe comme la foudre sur les insurgés. Au même instant la troupe d’infanterie sort des vignes où elle se tenait cachée, et commence un feu des plus meurtriers. Il n’en fallait pas tant. Sans tenter un effort, sourde à la voix des chefs, cette masse indisciplinée de paysans tourne les talons et se précipite sur le pont d’Enard, désormais insuffisant pour lui livrer passage. C’est bientôt une scène de confusion pitoyable et terrible. Ceux qui ne peuvent trouver place sur le pont se lancent dans les bas côtés, à travers les marécages, où ils trouvent une mort presque certaine. Ceux qui sont assez heureux pour arriver sur l’autre rive, jettent leurs armes, leurs vêtements et leurs chaussures pour reprendre au plus vite la route de Palluau. Les chefs eux-mêmes, impuissants à contenir cette foule épouvantée, tournent bride et cherchent leur salut dans la fuite. En un instant l’émeute s’est évanouie, et de cette formidable insurrection qui faisait trembler le département, il ne reste plus qu’une soixantaine de cadavres.
Du reste, on peut se rendre compte de la terreur profonde qui s’empara des insurgés, par le curieux récit qu’en fait lui-même le général Fauconnet dans une lettre adressée à un nommé Passaplan, chargé de soulever le département du Cher. Voici des extraits de cette lettre déposée au dossier de Fauconnet et relatée par l’acte d’accusation, page 20 :
« Envoyé dans le B….., j’y ai trouvé les esprits si bien disposés et le pays si avantageux, tant par sa localité que par les ressources de tous genres qu’il présente, que je n’ai pas pu concevoir comment jusqu’alors il avait pu rester ignoré des gens faits pour connaître de ces choses-là … Je n’ai pu retenir la fougue de mes gens aussi longtemps que je l’aurais désiré, et enfin ils m’ont entraîné dans leur rupture avec nos chers républicains ; j’ai tenu la campagne en masse pendant quelques jours, forcé par les circonstances ; enfin, j’ai été battu à la seconde affaire à Buzançais … Il y a aussi quelques remarques que j’ai faites au feu et que voilà : les patriotes ont un avantage incroyable avec leurs fusils de munition et des cartouches longues d’un pied. Les fusils de chasse, surtout lorsqu’on ménage la poudre, sont très-désavantageux. Prends garde aux vieux paysans et généralement aux pères de famille ; ils sont très j… f… de leur métier, quoique d’une excellente opinion. Dix hommes de cavalerie, accompagnés de quelques gendarmes, m’ont mis en déroute près de trois cents hommes armés de faux, sans que ces b…. là aient eu l’esprit de f…. un seul coup de faux. – Adieu, ton ami et camarade ».
Le jour suivant, 26 ventôse, c’est à peine si une légère fermentation se manifeste dans quelques communes trop éloignées pour connaître l’affaire de la veille, et si l’on a à signaler quelques désordres commis par les fuyards chez des personnes soupçonnées de républicanisme ou qui avaient refusé de prendre part à l’action.
Après ces inutiles tentatives, convaincus de leur impuissance, les chefs se dispersent et ne songent plus qu’à échapper aux recherches, à se faire oublier ou à préparer leur défense. Car bien que la Vendée de Palluau soit terminée en fait, il nous reste à connaître le dernier mot prononcé sur elle par la justice criminelle : ce n’est pas le moins curieux ni le moins triste.
Mais avant d’aborder ce nouveau point de vue, constatons l’effet produit et l’immense soulagement éprouvé par l’administration à l’annonce de la bataille de Buzançais, et comparons le ton de sa proclamation à ce sujet avec le ton lamentable de sa dernière circulaire.
Le 25, à six heures du soir, un aide de camp au général Desenfants apportait une dépêche annonçant qu’à deux heures environ la lutte s’était engagée, sur le chemin de Buzançais à Châtillon, entre les troupes républicaines et les rebelles ; que ces derniers avaient été immédiatement mis en fuite, laissant soixante morts sur le carreau et trente ou quarante prisonniers, tandis que du côté des républicains un seul gendarme avait reçu une blessure insignifiante. (Arch. de la préfect., liasse des troubles de Palluau, n° 101)
Séance tenante, l’administration centrale décerne une mention honorable au général Desenfants, ainsi qu’au lieutenant Robert pour sa belle conduite aux Fourneaux ; et le lendemain 26, la proclamation suivante est adressée aux habitants du district de Châtillon :
« Citoyens, la journée d’hier a été pour nous un jour de gloire, puisque les armes de la république ont triomphé ; elle a été pour nous un jour de douleur, parce que le sang de quelques-uns de nos administrés, séduits et trompés par des conseils perfides, a coulé.
Vous devez être éclairés sur ce que vous pouvez espérer des chefs sous lesquels vous servez. Sont-ce ces chefs infâmes qui ont couru les dangers du combat ? Non, c’est sur vous seuls que les coups ont porté. Sont-ce vos chefs qui, avec des faux et autres instruments, se sont exposés au feu de la mousqueterie ? Non ; ils étaient armés de fusils, de sabres, de pistolets, et ils étaient bien montés.
Dites-nous, qu’avez-vous à gagner dans de pareils combats ? Une mort certaine. Vous vous direz peut-être qu’ils vous forcent à marcher le pistolet sous la gorge. Eh bien ! réunissez-vous aux bons citoyens pour purger vos foyers de ceux qui attendent à votre liberté et à votre vie.
Ecoutez la voix de vos administrateurs, qui ne désirent rien tant que votre bonheur ; rentrer chez vous, reprenez vos travaux ; la belle saison appelle vos bras pour féconder la terre : vous ne pourrez recueillir si vous ne semez pas. Abandonnez ces chefs sanguinaires ; laissez-les en proie à leurs remords et aux peines dues à leurs crimes ; pour vous, qui ne fûtes que forcés à prendre part à cette machination infernale contre la liberté publique, comptez sur la justice du gouvernement.
Nous ne cesserons de faire les plus grands efforts pour vous arracher des mains forcenées qui vous dirigent, et pour vous ramener dans les sentiers de l’honneur et de la vertu.
Les Administrateurs du département de l’Indre,
GODEAU, Président ; BOERY, Commissaire ;
et BARBIER, Secrétaire. » (Arch. pièces 114).
Deux jours après, cette proclamation était suivie d’une autre ainsi conçue :
« Vous avez appris avec joie la défaite des rebelles à Buzançais ; apprenez aujourd’hui que Palluau est au pouvoir des républicains. Ce repaire de brigands est purgé des scélérats qui l’avaient infesté. Déjà les communes voisines sont rendues à la liberté.
Lundi prochain, 1er germinal, est la foire de Saint-Genoux. Qu’aucune crainte ne vous retienne. Venez avec confiance suivre vos spéculations commerciales. » (Id. n° 141)
Par contre-coup, les agents suspects des communes insurgées affichent un zèle inusité. Le maire de Palluau, le notaire Audouin, que nous avons vu invoquant les neiges et son grand âge, pour décliner les ordres de l’administration, s’empresse, dès le 26, d’adresser à Châteauroux un rapport dans lequel il annonce « qu’assisté d’un grand nombre d’habitants armés par son ordre, au cri unanime de vive la république, il s’est porté au château de Palluau, dont il a ouvert les portes de force, pour mettre en liberté ses frères les gendarmes, que des inconnus avaient amenés et renfermés ; qu’il a ensuite placé des postes et des avant-postes pour parer aux malheurs de l’insurrection. » (Id., n° 120)
Puis à l’appui de cette déclaration et de sa signature, il a le soin de faire comparaître « ses frères les gendarmes », tandis qu’une foule de citoyens, plus ou moins compromis, sollicitent également la faveur de figurer au rapport.
On le voit, à mesure que l’heure fatale approche, chacun cherche à détourner de sa tête l’orage qui s’avance et dont les premiers éclats seront terribles, comme on va en juger.
Arrêté quelques jours après la bataille, encore muni d’un fusil et de cartouches, et considéré comme un des principaux chefs sur lequel il importait de faire un exemple, M. de Sorbiers comparut le 25 germinal (14 avril) devant un conseil de guerre tenu à Bezançais, fut condamné à mort et exécuté. (Voir le texte de ce conseil de guerre, Arch. de la préf., pièce 194, liasse des troubles de Palluau).
La même rigueur fut exercée, sans qu’on s’en rende bien compte, envers deux autres acteurs secondaires, dont il est à peine mention dans l’instruction. Le premier, Jacques Philippeaux, dit la Ramée, fut condamné le 1er floréal suivant (20 avril) par le même conseil de guerre, comme chef de la rébellion et déserteur des troupes de la république ; le second, Jacques Blanchet, dit Carmagnole, ex-soldat, fut condamné le 6 prairial (25 mai), comme chef embaucheur, instigateur de la rébellion, et comme ayant participé de plus à un meurtre et à des actes de pillage. (Id., pièces 200 et 205).
Cette dernière décision surprend d’autant plus, que le dépouillement des pièces indique que ce Carmagnole aurait joué un double rôle dont il devait espérer quelque profit. Outre que dans sa déposition (archives du greffe, liasse L), il prétend avoir été, après la bataille, un agent secret du général Canuel et du général Désenfants, pour suivre le fil de la conspiration, on trouve une pièce singulière relative aux dépenses faites par l’administration à l’occasion des troubles de Palluau, 48 liv. ; une somme pareille le 3 germinal ; une troisième de 12 liv. le 12 germinal, le lendemain de son arrestation, et enfin, le 13, une somme de 60 liv. à la prison de Châteauroux. (Arch. de la préf.)
Après l’avoir employé comme agent, aurait-on découvert qu’il avait profité de cette confiance pour trahir de nouveau et servir les insurgés ? C’est une hypothèse rendue fort probable par sa fin sanglante.
Par deux autres décisions du même conseil militaire, en date des 16 et 20 floréal (5 et 9 mai), deux autres déserteurs, Pierre Barreau et Amable Guéry furent condamnés, le premier, à six mois de détention, le second, à dix ans de fers. (Arch. de la préf. ; liasse de Palluau, pièces 201, 202)
Quant à trente-quatre autres individus pris les armes à la main sur le champ de bataille, et renvoyés, après interrogatoire, devant le conseil militaire, on ne rencontre aucune trace de leur jugement. En raison de leur peu d’importance et de la contrainte qu’ils disent tous avoir subie, il est probable, ou qu’ils ont été acquittés, ou qu’ils n’ont pas été jugés. On ne remarque même pas leurs noms dans le grand procès qui va s’ouvrir.
En effet, pendant que la justice militaire, expéditive de sa nature, épouvantait et dispersait par ses façons sommaires les adhérents de la rébellion, la justice criminelle ordinaire commençait une immense instruction déposée, comme je l’ai dit, au greffe du tribunal de Châteauroux.
Pour peu qu’on veuille en secouer la poussière et y jeter les yeux, on y retrouve, sous les formes les plus variées et les plus palpables les détails de cette malheureuse affaire. On assiste aux débats. Les personnages revivent avec leur signalement, leur caractère et leur manière de dire. C’est tout un monde. Pourtant, à part la variété, ce monceau de papiers que j’ai eu la patience de parcourir d’un bout à l’autre et d’inventorier pièce à pièce, se résume dans le récit que je viens de donner. Convaincu d’en avoir extrait toute la substance, je ne recommencerai donc pas, dans ce court résumé, le travail auquel je suis livré, et je me bornerai à donner les résultats des importants débats qui, du 15 au 27 frimaire an V, se déroulèrent devant le tribunal criminel du département de l’Indre, présidé par M. André Jaymebon, tandis que le siège du ministère public était occupé par M. Bertrand de Greuille.
Pour cela, laissons parler les registres du greffe. Nous y voyons que sur les trente-deux accusés jugés contradictoirement, deux, Louis Bonami, dit Crève-Bouchure, et Augustin Legrand, jeune, furent condamnés à mort, avec confiscation de leurs biens, conformément aux lois révolutionnaires de cette époque.
A part ce redoutable verdict et la peine de six ans de fer prononcée contre le jeune Lubin Guéry, le tribunal criminel ne se montra pas très-sévère à l’égard des autres inculpés.
En effet, neuf d’entre eux, parmi lesquels Louis Legrand l’aîné et le maire de Palluau, Nicolas Audouin, furent condamnés à quatre mois de détention ; deux autres à trois mois ; huit autres, parmi lesquels les deux demoiselles de Chollé et Anne Audouin, la fille du maire, à deux mois.
Enfin, le même jugement prononce l’acquittement des autres accusés, au nombre desquels on remarque la malheureuse veuve de M. de Sorbiers.
Mais ce n’est pas tout ; car il nous reste à connaître le jugement des 15, 16, 17 et 18 pluviôse an V, rendu par contumace contre les principaux chefs de l’insurrection qui, comme les frères de Chollé, les curés Floret et Estevannes, avaient pu éviter la main de la justice ou s’échapper de leur prison comme le général Fauconnet.
Sur les seize accusés objet de ce second jugement, onze sont condamnés à la peine de mort. Parmi ceux-ci figurent Fauconnet, les trois frères de Chollé et les curés Floret, Estevannes et Héraudet. Trois sont condamnés à quatre mois de détention et les deux autres acquittés.
Le 24 pluviôse suivant, un troisième jugement est rendu contradictoirement contre le nommé Silvain Robert, qui, arrêté après coup et convaincu d’avoir achevé un volontaire à Ecueillé, entend également prononcer contre lui la peine capitale.
Comme on le voit, si ces divers jugements reçoivent leur exécution, l’expiation sera terrible. Mais hâtons-nous de le lire, la tragédie ne dépassera guère cette menace, au grand soulagement de chacun et de la justice elle-même, qui n’appliquait ces rigueurs qu’à son corps défendant.
Remarquons en passant que ces tendances à l’indulgence déjà signalées par l’opinion publique trouvent en quelque sorte leur confirmation dans les circonstances qui accompagnèrent l’évasion de Fauconnet et qui méritent de trouver place ici.
Arrêté peu de temps après la bataille et écroué à la prison de Châteauroux, le général Fauconnet montra peu de constance dans son malheur et ne sut guère soutenir le rôle que le hasard et le besoin lui avaient fait jouer.
Loin de là, une lettre de lui, qui fait partie de son dossier, nous le montre plus qu’humilié et offrant à l’accusateur public, dans un style plein d’emphase « de donner la clef du dédale impénétrable dans lequel il s’est égaré » (sic).
Voici quelques phrases de cette pièce :
« Citoyen,
Quelle que soit l’horreur de la position dans laquelle je me trouve, elle n’a cependant point encore affaibli mes organes … Un destin funeste m’a jeté dans un torrent dont j’ignorais la source empoisonnée … Sans prépondérance, sans fortune et sans rang, sans doute il fallait bien que je fusse l’instrument malheureux d’hommes forcenés, qui m’ont sacrifié à leurs vues sanguinaires. Je puis donc sans injustice faire retomber sur eux une partie des malheurs qu’ils ont seuls causés … Je suis déterminé à vous conter toutes mes peines, etc., etc … Je vous demande un moment d’entretien … Vous me ferez descendre dans quelque coin subalterne de ma triste habitation, et sans que mes compagnons d’infortune soupçonnent le motif de votre visite, etc. … »
Au bas de cette lettre un mot de l’accusateur public indique qu’il est prêt à l’entendre, à la condition expresse qu’on dressera procès-verbal de sa déclaration en présence du concierge.
Dans cette entrevue, Fauconnet déclare ce que l’acte d’accusation constate, à savoir que dénué de tout moyen d’existence, ayant perdu l’espoir d’obtenir une place à la trésorerie nationale, il se rendit à Angers, où il eut le malheur de trouver un nommé Guérin, capitaine aux ordres de Scépeaux, chef de chouans ; que celui-ci le conduisit au château d’un nommé Bourmont, adjudant dudit Scépeaux, où était le quartier général ; qu’il fut encoyé à Linières, en Bretagne, où il resta quatre mois en qualité de simple soldat au service des chouans, sauf les derniers mois, où on lui donna le grade de capitaine ; qu’au bout de ce temps, il quitta par suite d’une discussion avec Bourmont, vint à Tours, où il fit connaissance, à l’auberge de la Pomme-d’Or, d’un gentilhomme breton ou normand, nommé Auguste Leveneur, se disant commandant pour le roi de l’Orléanais et de la Touraine. Celui-ci lui remit six louis et lui confia une mission dans le Berry. De là son arrivée chez les Chollé, et les circonstances dévoilées par le reste de l’instruction.
En présence de ces détails, il est en effet difficile de ne voir dans l’évasion de Fauconnet qu’une simple faveur du hasard.
Mais revenons aux trois jugements du tribunal de Châteauroux, et expliquons par quel enchaînement de circonstances les deux premiers ne reçurent pas leur exécution.
En premier lieu, la liasse QQQ nous apprend que Louis Bonami, dit Crève-Bouchure, Augustin Legrand, condamnés à mort, et Lubin Guéry, condamné à six ans de fers par le premier jugement, s’étant pourvus en cassation le 28 frimaire an V, ce jugement fut cassé le 26 ventôse même année, un an juste après la bataille, et que, renvoyés devant le tribunal criminel de Loir-et-Cher, ces trois accusés furent acquittés.
Moins favorisé du sort et peut-être plus coupable, Silvain Robert ne put faire briser son jugement, qui se trouva parfaitement régulier, et qui, suivant une mention marginale du registre du greffe, fut exécuté le 25 floréal an V.
Quant aux contumaces, dont le nombre se grossit des trois Renaud, meuniers à Palluau, aussi condamnés à mort par défaut, le 16 fructidor an VI (liasse SS.), nous les voyons, dans les années suivantes, venir un à un purger leur contumace et rentrer dans la vie privée par un acquittement que le jugement de Blois, le temps écoulé et l’apaisement des passions leur assuraient.
Tel est, d’après le dépouillement des pièces officielles, le dénouement de la Vendée de Palluau, que je ne veux pas, du moins pour aujourd’hui, accompagner de plus amples réflexions. Je me borne à répéter encore que, présenté ainsi, basé sur des documents purement judiciaires, cet évènement me paraît manquer de vie et de pittoresque. Il exhale une odeur de greffe et de cour d’assises qui sied mal à l’histoire et au drame.
Pour ceux qui veulent des faits précis, irrécusables, ils sont servis à souhait. Dans ce que je viens de raconter, il n’est pas une allégation qui ne soit consignée sur papier timbré et revêtue des formes les plus authentiques.
Ceux au contraire qui pensent que l’histoire ne se compose pas seulement d’action matérielle, mais qu’elle doit être rehaussée des vives couleurs d’un tableau ; ceux qui aiment à voir jaillir une moralité du choc des évènements, n’y trouveront peut-être pas leur compte. Avec le tableau absent, ils pourront regretter l’entourage et l’encadrement, c’est-à-dire la peinture du pays et de l’époque, la mise en scène des personnages, et jusqu’à la tradition, cette soeur fantasque de l’histoire qui, loin de la fausser, lui est souvent aussi nécessaire que le sommeil et le rêve à la vie humaine.
Que de légendes piquantes mises en circulation sur la Vendée de Palluau, et restées seules dans la mémoire des habitants du pays, ne peuvent prendre place ici, parce que rien ne les prouve.
Ce n’est pas dans les registres du greffe que nous retrouvons la mort chevaleresque du jeune Audouin, tombant dans les bois de Paray sous le feu des gendarmes qui le sommaient de se rendre au nom de la république, et leur répondant par le cri de vive le roi ! Et cependant le fils Audouin est bien mort ainsi.
Ce n’est pas le réquisitoire de l’accusateur public qui nous parlera de l’arbre creux où le fils de Crève-Bouchure cherchait un refuge, ni du livre de messe d’Etienne Cron, abandonné sur le champ de bataille, et dont la suscription devait trahir son jeune maître, aujourd’hui bon vieillard de quatre-vingts ans, de qui je tiens cette particularité, ni des balles du curé Floret, ni de la bonne ruse de guerre du curé de Rivarennes, se couchant sous un drap mortuaire pour échapper aux gendarmes, ni de tant d’autres épisodes, hypothétiques tant qu’on voudra, mais qui appartiennent à la Vendée de Palluau d’une façon indélébile.
Je l’avoue, c’est de cette dernière façon que j’avais d’abord compris mon récit. J’avais pensé qu’à côté de la version véritable, appuyée en notes de pièces justificatives, on pourrait grouper sans danger tout ce que la tradition et les renseignements particuliers fournissaient, tant sur les personnages que sur les lieux et les monuments témoins de ce drame.
Enfin, j’avais entouré l’action d’un cadre plus ou moins orné, se distinguant par ses ornements mêmes du fond du sujet et ne pouvant lui porter aucun préjudice.
Avais-je tort, avais-je raison ?
Si jamais je donne suite à cette pensée en publiant mon premier manuscrit, le public prononcera.
(1) L’aîné des frères de Chollé (mort dans les premières années de la restauration) ajoutait à son nom celui « de la Salle », qui lui venait d’une propriété voisine de Montrichard. Le second était communément appelé le chevalier de la Rimbaudière ou de la Joubardière, et le troisième, connu sous le nom de Chollé-Rançay, demeurait à Villantrois, où il existait encore sous l’empire et la restauration. Outre ces trois frères, la famille se composait de plusieurs soeurs. Les deux aînées, Delphine et Marthe, furent inculpées dans le mouvement de Palluau. La troisième, Marie-Louise de Chollé, mariée à M. Bertrand d’Autay, n’a pas paru dans les troubles. Une ou deux autres soeurs étaient religieuses.
Compte-rendu des travaux de la Société du département de l’Indre à Paris
Troisième année
N° 3 – 1855-1856